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Enseignement/Apprentissage de la Prononciation du Français
Enseignement/Apprentissage de la Prononciation du Français
23 février 2015

Expliquer une difficulté...

 

    

    Maria, hispanophone vivant à Paris depuis plus de 25 ans, me téléphone : "Il m'est arrivé une affreuse mésaventure phonétique, et je m'en veux terriblement ! J'ai mal prononcé le prénom d'une adolescente et j'ai entendu que ses camarades de classe se moquaient d'elle par ma faute. Il faut absolument que je m'entraîne et que je parvienne à me corriger ! Je n'arrive pas à prononcer ce prénom : [ɔʁœʁ]??" (pour Aurore [ɔʁɔʁ]).

 

     L'histoire de Maria me touche particulièrement... parce que j'ai une filleule qui s'appelle Aurore ! et que j'ai présentée il n'y a pas si longtemps à un groupe d'adolescents américains en visite à Paris. J'avais pressenti le danger phonétique : "This is my goddaughter Aurore... which means Dawn in french". J'ai quand même eu le temps de voir une seconde d'extrême étonnement dans les yeux des jeunes anglophones ayant cru un instant qu'en France, on pouvait s'appeler Horror ...

 

AuroreHorreur

     Je rappelle à Maria la différence [œ] / [ɔ], mais je sais qu'elle la produit parfaitement bien dans de nombreux mots : [œ] (qui n'existe pas en espagnol) est prononcé en avant de la bouche, c'est la correspondante arrondie de [ɛ] ;

[ɔ] (qui existe en espagnol comme allophone de /o/) est tout à fait différente, c'est une voyelle prononcée en arrière de la bouche.

 

     En y regardant de plus près, nous constatons que Maria fait précisément la différence entre [œ] et [ɔ] tant en perception qu'en production dans toutes les paires minimales suivantes :

peur             porc / port / pore

menteur       mentor

cœur           corps / cor

beurre         bord

d'heure       dort / d'or / d'ores

(dra)gueur  gore

(coi)ffeur     fort / for

fleur          flore

sœur          sort

seul           sol / sole

(pê)cheur   (off) shore

ils veulent      ils volent

(sa)veur     (dé)vore

(trei-) ze heures    (tré)sor      

(ma)jeur    (ma)jor

meurt    mort

(ho)nneur    (au) nord

l'heure    l'or.

 Il n'existe que deux mots en français ayant [ʁɔʁ] en finale : aurore et pérore.

 On trouve par contre de nombreux mots ayant [ʁœʁ] en finale, dont : assureur, bagarreur, courreur, éclaireur, empereur, erreur, fureur, horreur, laboureur, pleureur, terreur, tireur.

 

     Pour Maria, seule la paire horreur / aurore pose problème... et plus précisément aurore prononcé horreur.

     S'agirait-il d'un cas d'hyper-correction? quand on utilise à l'excès un son nouveau (ici [œ] qui n'existe pas en espagnol). Cela serait étonnant, car l'erreur est tout à fait isolée, elle n'apparaît pas en système.

     S'agirait-il d'un phénomène de co-articulation ? la totalité des paires [œʁ] / [ɔʁ] ne pose pas de problème. Seule la paire [ʁœʁ] / [ʁɔʁ] est floue. [ʁ] fricative uvulaire présente en français des résonnances antérieures... c'est particulièrement clair, lorsque ce [ʁ] français est opposé au [r-sound] anglo-américain... mais pas particulièrement quand il est opposé au [ɾ] de l'espagnol... [ʁ] serait-il ici un contexte dé-favorisant ? Je pense à l'article d'André Martinet "C'est jeuli, le Mareuc", qui traitait de l'antériorisation de /O/... Je pense aussi a contrario à Isabelle Malderez et à son analyse des occurrences "rocommencer", "rocopier", "roquin" chez les enfants en début d'école primaire et "roblochon" chez les adultes.

     Je fais finalement remarquer à Maria que le mot horror existe en espagnol. Et qu'il suffirait donc de passer des R roulés de l'espagnol aux R français pour parvenir à la bonne prononciation d'Aurore. S'agirait-il alors d'un blocage psycho-linguistique, Maria ne pouvant se résoudre à donner comme prénom féminin un mot qui ressemble tant à horror en espagnol. En tentant à tout prix de le franciser, Maria aboutirait à horreur, mot qu'elle cherche justement à éviter...

 

     Et vous, comment expliquez-vous la difficulté rencontrée par Maria?

 

 

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2 février 2015

Le Renard et la Cigogne... en API

 

 

    Il y a près de deux ans, j’ai mis en ligne sur ce blog un extrait du périodique : Le maître phonétique, de 1938 : « La fable de Pierre ». Cette adaptation en alphabet phonétique du conte normand de G. Demonge met en scène un enfant que l’on oblige à réciter la fable de La Fontaine « La cigale et la fourmi », ce qu’il fait de mauvaise grâce…

Pierre (très fort) : La cigale et la fourmi : La cigale ayant chanté Tout l’été, Se trouva fort dépoilue

La mère : Qu’est-ce que tu nous racontes ?  C’est « dépourvue » qu(e) c’est écrit.

Pierre : J’aime mieux dépoilue. Au moins, ça a un sens !

    J’avais constaté que ce message répondait à l’attente de nombreux internautes à la recherche de la transcription phonétique de la fable de La Fontaine. J’avais donc proposé quelques mois plus tard une transcription phonétique de la fable originale… sans pouvoir m’empêcher de questionner la tradition scolaire française qui fait apprendre par cœur aux enfants de 7 ans ces fables aujourd’hui si difficilement compréhensibles…

 

     Il y a quelques jours, j’ai vu « Maintenant ou jamais », film de Serge Frydman de 2013. Dans une scène du film, un petit garçon récite avec peine « Le Renard et la Cigogne ». Cela a suffi pour me faire réagir… et me donner l’envie de vous faire partager la scène… et la transcription phonétique de la fable !

 

Dans la scène du film, la récitation est en arrière plan d’une action principale silencieuse :

Le père : Vas-y, j(e) t’écoute.

L’enfant : Compère le Renard se mit un jour en frais, et retint à dîner commère la Cigogne. Le régal fût petit et sans beaucoup d'apprêts… Alors j’apprends la suite ?

Le père : Oui, vas-y, tu lis à partir de là…

L’enfant : en frais…  euh…. Le galant….. pour toute …. bésogne… avait le brouet… clair. J(e) comprends rien !

Le père : …. Bon, reprends du début. Vas-y !

L’enfant : Compère le Renard se mit un jour en frais…

Le père : Moins vite, moins vite, moins vite, prends ton temps…

L’enfant (très lentement) : Compère le Renard se mit un jour en frais….

 

 

 

 

Voici la transcription en Alphabet Phonétique International de mon enregistrement de la fable (voir plus bas).

 

Le Renard et la Cigogne      [lŒʁŒˈnaʁ / elasiˈgɔɳ //

Compère le Renard se mit un jour en frais,     [kõˈpɛʁ / lŒʁŒˈnaʁ / sŒmitɛ̃ʒuʁɑ̃ˈfʁɛ/

et retint à dîner commère la Cigogne.     [eʁŒtɛ̃tadiˈne / kɔˈmɛʁ / lasiˈgɔɲ //

Le régal fût petit et sans beaucoup d'apprêts :     [lŒʁegalfypŒˈti / esɑ̃bOkudaˈpʁɛ //

Le galant pour toute besogne,     [lŒgaˈlɑ̃ / puʁtutŒbŒˈzɔɲ /

Avait un brouet clair ; il vivait chichement.     [avɛtɛ̃bʁuɛˈklɛʁ /  ilvivɛʃiʃŒˈmɑ̃ //

Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :     [sŒbʁuɛˈfy / paʁˈlɥi / sɛʁvisyʁynaˈsjɛt //

La Cigogne au long bec n'en put attraper miette ;     [lasiˈgɔɲ / olõˈbɛk / nɑ̃pytatʁapeˈmjɛt //

Et le drôle eut lapé le tout en un moment.     [elŒˈdʁol / ylapelŒˈtu / ɑ̃nɛ̃mOˈmɑ̃ //

Pour se venger de cette tromperie,     [puʁsŒvɑ̃ˈʒe / dŒsɛt(Œ)tʁõˈp(Œ)ʁi /

A quelque temps de là, la Cigogne le prie.     [akɛlkŒtɑ̃dŒˈla / lasigɔɲ(Œ)lŒˈpʁi //

"Volontiers, lui dit-il ; car avec mes amis     [vɔlõˈtje / lɥidiˈtil // kaʁavɛkmezaˈmi /

Je ne fais point cérémonie. "          [ʒŒnŒfɛpwɛ̃seʁemOˈni //

A l'heure dite, il courut au logis     [alœʁˈdit / ilkuʁytOlOˈʒi /

De la Cigogne son hôtesse ;     [dŒlasiˈgɔɲ / sõnoˈtɛs //

Loua très fort la politesse ;     [luatʁɛˈfɔʁ / lapOliˈtɛs //

Trouva le dîner cuit à point :     [tʁuvalŒdiˈne / kɥitaˈpwɛ̃ //

Bon appétit surtout ; Renards n'en manquent point.   [bõnapeˈti / syʁˈtu // ʁŒˈnaʁ /nɑ̃mɑ̃kŒˈpwɛ̃ //

Il se réjouissait à l'odeur de la viande     [ilsŒʁeʒwiˈsɛtalodœʁdŒlaˈvjɑ̃d /

Mise en menus morceaux, et qu'il croyait friande.     [mizɑ̃mŒnymɔʁˈso / ekilkʁwajɛfʁiˈɑ̃d //

On servit, pour l'embarrasser,     [õsɛʁˈvi / puʁlɑ̃baʁaˈse /

En un vase à long col et d'étroite embouchure.     [ɑ̃nɛ̃vazalõˈkɔl / edetʁwatɑ̃buˈʃyʁ //

Le bec de la Cigogne y pouvait bien passer ;     [lŒˈbɛk / dŒlasiˈgɔɲ / ipuvɛbjɛ̃paˈse //

Mais le museau du sire était d'autre mesure.     [mɛlŒmyzodyˈsiʁ / etɛdotʁŒmŒˈzyʁ //

Il lui fallut à jeun retourner au logis,     [illɥifalytaaˈʒœ̃ / ʁŒtuʁneʁOlOˈʒi /

Honteux comme un Renard qu'une Poule aurait pris,     [õˈtø / kɔmɛ̃ʁŒˈnaʁ / kynŒpuloʁɛˈpʁi /

Serrant la queue, et portant bas l'oreille.     [sɛʁɑ̃laˈkø / epɔʁtɑ̃balOˈʁɛj //

Trompeurs, c'est pour vous que j'écris :     [tʁõˈpœʁ / sɛpuʁˈvu / kŒʒeˈkʁi //

Attendez-vous à la pareille.      [atɑ̃deˈvu / alapaˈʁɛj //]

 

Sur La naissance d’Osiris, Air gracieux, de Jean-Philippe Rameau (Marc Minkowski et les Musiciens du Louvre)

 

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