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Enseignement/Apprentissage de la Prononciation du Français
Enseignement/Apprentissage de la Prononciation du Français
17 janvier 2013

Promouvoir la souplesse phonétique

Le 16 Novembre 2012, Hachette et l'Alliance Française de Paris ont organisé une journée pédagogique consacrée à la phonétique du FLE.

J'ai eu un grand plaisir à participer à cette journée et à échanger avec mes collègues (auteurs et / ou praticiens) nos expériences et nos réflexions.

En attendant que Hachette mette en ligne le texte de mon intervention, je vous le propose ici.

 

Programme de la journée pédagogique sur la phonétique - 16 novembre 2012

09h15-10h15 Ouverture - Gérard Vigner
Conférence : promouvoir la souplesse phonétique - Bertrand Lauret

10h30-11h30 Table ronde : L’apprentissage guidé et l’amélioration des performances à l’oral
Gérard Vigner, Bertrand Lauret, Dominique Abry, Jean-Thierry Le Bougnec, Claudine Nicolas du CASNAV


11h30-13h30 Atelier I  / 14h15-15h45 Atelier II :
Phonétique corrective et FLE : quels exercices et quels supports aux niveaux A et B du CECRL? - Dominique Abry
La phonétique à travers le théâtre et le cinéma - Denise Baldassarre-Guine et Sarah Perrin
La phonie-graphie dès le niveau A1 : exemples dans un manuel (Alter Ego+) - Véronique Kizirian
Segmentation, rythme, accentuation : activités correctives dès le niveau A1 - Jean-Thierry Le Bougnec
Originalité rythmique du français parlé - Edith Madeleni

16h00-17h15
Conférence : Didactique de la prononciation du français actuel - Edith Madeleni et François Wioland
Clôture de la journée - Gérard Vigner









Promouvoir la souplesse phonétique

Bertrand LAURET

Institut de Phonétique, Sorbonne Nouvelle – Paris3

 

 

  1. 0.     Introduction

Le présent texte est le support écrit de mon intervention lors de la journée pédagogique du 16 novembre 2012 consacrée à la phonétique. J’y ai intégré les réponses aux diverses questions qui m’ont été posées durant la journée. On y trouve aussi des liens vers les ressources textuelles et audio présentées ou évoquées dans mon intervention.

Ce texte ne constitue pas un article scientifique ; ce sont des notes, juste mises en forme, qui s’adressent aux participants de la journée.

  1. 1.     Remerciements
  2. 2.     Présentations
  3. 3.     Le livre : Enseigner la prononciation du français : questions et outils, Paris : Hachette, 2007.

« Questions » : parce que je pense qu’il faut se poser et poser de nombreuses questions avant de se lancer dans un travail phonétique, mais aussi pendant le travail voire après (ce que j’ai fait – comment ? pourquoi ?, ce que j’ai compris, ce que je commence à maîtriser, ce qui me résiste…).

« Outils » (pas une / des méthode(s)) : ce qui est disponible, ce qui a déjà été fait pour éviter autant que possible à mes confrères enseignants de redécouvrir l’existant ou de se perdre dans des tâches inutiles (par exemple, la recherche de mots – je propose un lexique niveau A ordonné suivant la rime (comme un dictionnaire de rimes).

 

Le livre est en 3 parties :

• Des questions : C’est une partie qu’il a fallu restreindre, parce qu’il y a beaucoup de questions que l’on peut poser sur l’apprentissage de la prononciation d’une langue étrangère. J’en ai repris un certain nombre à Adam BROWN, dans son introduction à un ouvrage collectif sur l’enseignement de la prononciation [BROWN, Adam, ed. (1992), Approaches to Pronunciation Teaching, London : MacMillan]

 

Les 18 questions / thèmes que je discute sont :

1. La prononciation : une matière différente – par apport aux autres composantes de la langue

2. La prononciation : une compétence physique qui touche à la personne / identité

3. Un domaine marqué par la variabilité (tant en production qu’en perception)

4. La question de la norme

5. Pourquoi travailler à améliorer la prononciation ?

6. La prononciation d’une nouvelle langue : une variété de performances et d’intérêts

7. Comment convaincre les élèves de l’intérêt de la prononciation ? comment positiver l’attitude des élèves face à la prononciation ?

8. Faut-il viser l’intelligibilité en prononciation ?

 

C’est un point de vue souvent défendu. Comme la maîtrise de la prononciation d’une LE est difficile, après tout, on peut se donner l’intelligibilité comme objectif. S’il est atteint, ce sera déjà pas mal.

Pourquoi un objectif limité ? « Moi avoir faim » est intelligible grammaticalement. Pourquoi aller au-delà ?

Est-ce à l’enseignant de limiter d’emblée les objectifs d’apprentissage ? (Cf. le psychologue Robert Rosenthal et l’effet Pygmalion) : http://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_Pygmalion

 

Le niveau à atteindre dépend beaucoup de la tolérance des oreilles de l’auditeur natif. Nous en reparlerons, mais dès maintenant deux témoignages :

Gabrielle VARRO, sociologue : Il faut néanmoins dénoncer la mauvaise foi de certains interlocuteurs, qui, dès qu'ils ont repéré qu'il s'agit d'un(e) étranger(e), "refusent" de comprendre, l'obligent à se répéter mille fois. Par ailleurs, on peut se demander si les critères du "bien parler", dans une Europe plurilingue où la communication prend le pas sur l'apprentissage des langues, peuvent demeurer les mêmes: le seuil de tolérance aux "accents étrangers" va forcément se modifier, puisque les gens vont eux-mêmes devoir parler, plus ou moins bien, plus d'une langue.

(source : www.cebip.com/download.asp?file=/elementi/www/...9...

 

Olivier MASSÉ, prof de FLE au Japon : « Même si je prononce parfaitement bien, un chauffeur de taxi japonais me fera toujours répéter. Peut-être parce qu’il ne s’attend pas à m’entendre parfaitement prononcer. Mais pour moi, c’est quand même vexant… »

9. Voyelles, consonnes… et ? –Segmental / suprasegmental

10. Des limites physiques ?

11. Est-il possible d’obtenir une bonne prononciation dans une nouvelle langue?

12. La surdité phonologique

 

Je m’arrête sur cette notion qui, avec l’hypothèse de la période critique, sont les deux arguments qui justifient aux yeux de certains l’impossible maîtrise de la prononciation d’une langue étrangère.

Troubetzkoy (1939) affirme que « ce qu’on appelle  accent étranger ne dépend pas du tout de l’incapacité du locuteur étranger à prononcer quelque son, mais plutôt de son interprétation incorrecte de ce son ».  Avec cette formule, il remplace une incapacité articulatoire par une inadéquation perceptive. Cependant, il ne va pas jusqu'à parler d’une « surdité phonologique », formule pourtant à jamais associée au principe du « crible » et qui fut popularisée pendant les années soixante, notamment par le sulfureux Alfred Tomatis et sa très controversée audio-psycho-phonologie.

La notion de crible phonologique ainsi que celle de surdité phonologique constituent aussi la pierre angulaire de la « méthode verbo-tonale d’intégration phonétique » dont les principes théoriques et pratiques remontent aux années cinquante. Les partisans de cette méthode considèrent qu’un individu prononce mal les sons d’une langue étrangère car, au départ, il les entend mal. Cette difficulté à discriminer et à segmenter les sons de la langue cible est due à la surdité fonctionnelle qui l’affecte (= mauvaise interprétation) et l’amène à se comporter comme s’il était « dur d’oreille » dans sa perception des spécificités sonores des stimuli de l’autre langue.

L'apprentissage de sa langue maternelle par l'enfant consiste bien à apprendre à ignorer les variations non-distinctives. L'auditeur chercherait à faire passer des réalisations de parole dans une langue qu'il ne connaît pas par le filtre fonctionnel de sa langue maternelle. Donc un apprenant d'une langue étrangère qui répète incorrectement un son ou un mot, ne l’a pas mal entendu. On dira plutôt suivant ARAMBASIM (1973) [ARAMBASIM, V. (1973), Le Suvag Lingua de classe, Revue de Phonétique Appliquée, vol. 27-28, p. 16-22], qu’il a « fait un mauvais choix parmi le grand nombre d’informations qu’on lui a proposées, influencé par les habitudes de sa langue maternelle ». Cela ne veut pas dire que nous n’entendons pas les différences acoustiques.

 

La recherche a montré que l’assimilation perceptive devient évidente seulement quand l’activité de perception appelle un traitement phonologique de la part du sujet ; sur des tâches de discrimination simples, l’ensemble des sujets obtient les mêmes résultats indépendamment de leur langue première. Cette uniformisation des résultats peut être aussi atteinte par un « déshabillement » des traits phonétiques des stimuli proposés ; ce qui ferait croire à l’auditeur qu’il entend du bruit et non pas du discours. Par ailleurs, dans le cas de la production, les expériences de Neufeld [NEUFELD, Gérald G. (1979), Vers une théorie de la capacité d’apprentissage linguistique, Encrages, n° spécial de Linguistique Appliquée, Université de Paris VIII] ont montré aussi qu’il est possible pour un locuteur, après une période d’entraînement relativement courte et à partir de tâches suffisamment simples, de produire un discours de jusqu’à 150 mots en langue cible avec une prononciation « comparable à celle d’un natif ».

Ces expériences, parmi d’autres, montrent que l’assimilation perceptive, si inéluctable qu’elle puisse paraître, n’est pas présente dans la totalité des cas et qu’il est possible, sous certaines conditions, d’échapper au joug du filtre phonologique, ne serait-ce que de manière limitée.

 

 

Le conditionnement phonologique

 

Audio 1 : Extrait d'une émission de Laurent Ruquier, sur Europe1, chronique musicale de Serge Llado.

Mots clefs : illusions auditives Ruquier

http://www.dailymotion.com/video/xah1w5_illusions-auditives_fun#.UKdhmYVp5gc

 

Police : Message in a Bottle

Mon opinel a dû mal couper / Mon oncle Binette a les mains coupées

More loneliness, than any man could bear

 

Gipsy Kings : Bamboleo

En el desTIno del desamPAr(ad)o 

Mais avertis donc qu’elle descend par en haut

 

Quand je fais écouter l’extrait de la chanson de Police à des étudiants anglo-américains, ils me disent ne plus entendre l’original. La suggestion influence irrépressiblement la perception.

Une étudiante française m’a dit : « J’ai arrête d’écouter cette chronique musicale, cela gâchait de façon persistante mon plaisir à l’écoute de certaines chansons. »

 

Audio 2 : Hymne national soviétique sous-titre français 

http://www.youtube.com/watch?v=WM5H1KthhUU

 

 

Conclusion : Cela veut dire qu’on peut influencer la perception.

Comment utiliser cela en classe ? Comment conditionner ?

 

13. La motivation

14. Quelles connaissances les enseignants doivent-ils avoir en phonétique ?

15. Des difficultés variables suivant les langues ?

16. Les approches communicatives et la prononciation

17. La prononciation et l’importance de l’établissement de la confiance

18. Comment évaluer la prononciation ? (20)

 

Dans la vingtaine de questions d’Adam BROWN, il y en a encore de fort intéressantes (dont certaines sont traitées dans le corps de mon livre) :

-       La transcription phonétique est-elle utile et à quel point ?

-       L’analyse contrastive phonologique est-elle utile et à quel point ?

-       Comment l’enseignement de la prononciation doit il être intégré à l’enseignement de la langue ?

-       De l’utilisation du théâtre, des simulations, des jeux de rôles

-       Comment peut on décider quels sont les aspects de la prononciation qui sont importants (il y a souvent divergences de point de vue entre l’apprenant et l’enseignant ; ex en apprentissage de l’anglais : de nombreux français font une fixation sur la prononciation du th anglais, alors qu’ils négligent totalement la syllabe accentuée qui est beaucoup plus importante en anglais.

 

 

(suite de la présentation du livre)

• Une présentation concentrée (une trentaine de pages)/ simplifiée du phonétisme du français (en reprenant les termes de Pierre DELATTRE et Georges FAURE) : en commençant par les aspects suprasegmentaux (rythme, accentuation, intonation) et les contenus segmentaux (voyelles, semi-consonnes, consonnes)

 

Pourquoi simplifiée ? Parce que le but n’est pas / plus d’impressionner les enseignants (et l’institution) ou les étudiants et d’essayer de légitimer le travail sur la prononciation en montrant combien il est difficile en français. Tout le monde en est persuadé, mais comment y arriver.

Sans doute : 1. en comprenant ce que l’on fait, pas à pas, 2. en ayant l’impression que ce n’est pas insurmontable = que c’est possible, même si on n’a pas de qualités naturelles pour cela.

J’insiste un peu, car en fréquentant les classes, j’ai trop souvent vu des enseignants sans doute mal à l’aise avec des contenus phonétiques mal maîtrisés (API, profils articulatoires, fonctionnement des systèmes, phonie-graphie..) qui en rajoutaient tellement dans la complexité, que moi même comme natif, j’étais découragé avant même de commencer…

Donc, comprendre simplement pour expliquer simplement (pour faire formuler simplement afin de s’approprier les contenus), et s’entrainer sur UN objectif (une chose à la fois) explicite et compris.

 

• Les pratiques et techniques d’enseignement liées aux apports théoriques

J’ai tenté dans ces parties (3 et 4) de montrer l’évolution des pratiques suivant les connaissances, les apports théoriques et les modes dans l’enseignement. C’est ici que se trouvent l’essentiel des outils avec des encadrés illustrant le propos, soit des activités / exercices extraits de manuels ou parfois adaptés (dans le cas de manuels anglophones), soit des propositions plus personnelles (ex : critères de choix d’une chanson pour son exploitation phonétique, correspondances morpho-phonologiques, …)

 

(fin de la présentation du livre)

 

 

 

 

  1. 4.     Promouvoir la souplesse phonétique

 

Les ateliers vont véritablement rentrer dans le détail des pratiques de classe et répondre aux questions des praticiens : comment proposer / organiser ce travail ?

 

Aussi pour commencer la journée, je voulais prendre un point de vue un peu différent, à savoir : pourquoi proposer ce travail ? Car il me semble indispensable d’initier une telle réflexion avec les apprenants avant, voire pendant l’entraînement, pour toujours se rappeler pourquoi on s’entraine / pour éviter à tout prix la passivité.

 

 

4.1. D’un point de vue collectif / sociétal

La perception d'un accent étranger et le jugement associé à l'accent est aussi un phénomène culturel. Certains chercheurs (repris chez JAMES, dans The Encyclopedia of Linguistics, ASHER ed, Pergamon Press, 1994, sous l’entrée : Second Language Acquisition : Phonology) ont mis en évidence un rapport inverse entre la tolérance d'une culture face aux accents étrangers et les performances phonétiques de cette même culture en LE. Par exemple, les Français et les Japonais sont décrits comme particulièrement sensibles et exigeants face aux étrangers qui parlent leur langue. Par contre, les Français et les Japonais ne sont pas réputés pour leurs performances phonétiques en LE. Au contraire, les Néerlandais se montreraient phonétiquement plus tolérants avec les étrangers s'exprimant dans leur langue mais très perfectionnistes pour leurs propres performances phonétiques en langue étrangère.

 

Donc en FLE, nous allons nous montrer très exigeants dans un domaine où nous sommes très peu performants… Cela mérite une discussion. Et peut être de faire notre propre mea culpa ou en tout cas de réfléchir au pourquoi de nos propres difficultés à la prononciation des langues étrangères.

 

Parce que notre société française (comme beaucoup d’autres mais aussi contrairement à d’autres, par exemple la Suède ou les Pays Bas) ne donne presqu’aucune chance aux oreilles francophones natives d’entendre suffisamment de stimuli en versions originales pour se laisser séduire, se laisser assouplir :

 

• tous les films à la TV sont doublés, la VOST demeure élitiste alors que par exemple en Suède, seuls les films adressés aux petits enfants (et encore pas tous) sont doublés. Le reste est sous-titré. Résultat : le public est très largement exposé à la musique et aux sons de l’anglais et d’autres langues.

 

Pour rester dans le domaine de la TV : un témoignage émouvant d’un prof de FLE.

« Je ne parle pas allemand. Et je me souviendrai toute ma vie du lancement de la chaîne ARTE en mai 1989. Pour la soirée inaugurale, ils ont diffusé « Les ailes du désir » [Der Himmel über Berlin] de Wim Wenders. Jusque là, je n’avais entendu d’allemand que sous formes d’ordres et de cris dans les films de guerre. Et pour la première fois ce soir-là, j’ai entendu cette langue prononcée par Bruno Ganz, et c’était sublime. Je me rappelle de « Als das Kind Kind war »… J’ai été réellement ébloui (c’est un souvenir très fort) que cela a changé radicalement et définitivement mon image de la langue allemande ».

 

Audio3 : Der Himmel über Berlin

http://vimeo.com/13207279

 

 

• un désespérant irrespect phonétique dans les médias pour les noms et produits étrangers : France Inter : Premier arrivée dans le 3e : Dulce de Leche ; Jeux vidéos (pour un public Jeune qui pourrait adorer s’approprier l’altérité !) : Medal of Honor, Gran Theft Auto… les acteurs Richard Gere, Colin Farell…

 

 

• L’absence de modèles positifs : nos présidents et politiques parlent peu ou pas les langues étrangères. Le premier ministre actuel parle allemand (c’est souvent précisé, enfin !). Sur Europe 15.06.2012 commenté par Le Parisien : « En allumant leur radio vers 8h20 ce matin, les auditeurs d’Europe 1 ont probablement été surpris par cette longue tirade en allemand - 12 secondes, une éternité en radio - adressée par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault à la Chancelière allemande Angela Maerkel » :

«Wir haben eine gemeinsame Verantwortung, Europa eine Zukunft zu geben. Und wie Mitterrand und Kohl, François Hollande und Frau Merkel sind davon überzeugt.»

 

Ce qui est le plus apparent, ce sont les accents étrangers : Jane Birkin, Eva Joly, Karl Lagerfeld… Par contre que l’acteur Henri Garcin s’appelle Anton Albers et soit Néerlandais (autres exemples), personne ne peut d’emblée s’en rendre compte alors personne ne s’en émeut…

 

Notes et commentaires de Gabrielle Varro au fil d’un texte de L. Morozova :

www.cebip.com/download.asp?file=/elementi/www/...9...

 

LM : « Bien prononcer est toujours valorisant (3). Selon de nombreux témoignages, il est plus important d'avoir un "bon accent" qu'un vocabulaire riche ou une grammaire impeccable. Cela s’explique en grande partie par le fait qu'une bonne prononciation ne perturbe pas la stratégie de perception: des sons et un rythme "authentiques", une intonation conforme, diminuent l'effort requis, tout en permettant à l’interlocuteur d’anticiper l’identification de l’énoncé, comme cela se fait entre personnes dialoguant en langue maternelle. »

GV : « Oui, je confirme! J'en a personnellement fait l'expérience, tant comme étudiante que plus tard comme professeur de FLE. C'était l'époque héroïque des exercices structuraux en France et il faut reconnaître que, combinés avec l'apprentissage obligatoire de la phonétique (à l'Institut de Phonétique, rue des Bernardins à Paris, aujourd'hui dépendant de l'Université Paris 3), ils m'ont "débarrassée" de toute trace d'accent étranger (en particulier américain; un exploit!) et m'ont permis d'enseigner moi-même le français, à Paris, à des étudiants étrangers (dont des Américains), persuadés qu'ils apprenaient avec une autochtone... »

 

 

• Et pire encore que l’absence de modèle, les réactions à la performance phonétique en LE. Quelles sont les réactions face à quelqu’un qui prononce parfaitement bien une langue étrangère ? Qui essaye comme je me suis efforcé de le faire depuis le début de ma présentation  de bien prononcer les mots en LE ? (même si nous sommes dans un contexte particulier). Ce n’est pas sûr que son attitude soit toujours positivement interprétée (pris comme étant prétentieux).

 

« Quand la norme, c’est l’autre ». Ce sont souvent les séjours linguistiques dits en immersion qui créent une prise de conscience sur l’importance de la prononciation, sur ce qui est différent (quand leallemand ou leanglais, si étranges et malmenés dans les classes en France sont banalisés dans leur usage quotidien dans leur pays d’origine). Mais le retour en France restitue un environnement inadéquat à la souplesse phonétique.

 

Tous ces éléments (peu d’exposition, peu de modèles, un regard moqueur) tirent clairement vers le bas nos performances phonétiques de français natifs en langues étrangères.

Et si ces éléments sont identiques dans les pays d’origine de nos étudiants de FLE, on voit bien que l’ensemble des exercices et activités phonétiques qui vont être proposés dans nos cours (et qui vont être développés dans les ateliers) vont devoir rattraper ce handicap et lutter contre ces mêmes éléments.

Il me semble important de les évoquer explicitement avec les étudiants, pour valoriser d’emblée une attitude positive à l’égard du domaine de la prononciation.

 

Ce qu’on peut espérer :

- plus de versions originales,

- la valorisation des modèles,

- une présence plus forte de la prononciation dans les programmes et les manuels de langue,

- la souplesse du doublage québécois [exemple audio].

 

Projet (Lauret, Pagel, Kamiyama) : L’appel des phonéticiens

http://phonetiquedufle.canalblog.com/archives/projet___appel_des_phoneticiens/index.html

 

 

 

4.2. D’un point de vue individuel

Comme dans tous les apprentissages, la variété des capacités individuelles est saisissante. Là où certains perçoivent avec difficulté la nature même de la tâche, d’autres sont déjà en train de prendre du plaisir à y parvenir.

Des situations variées chez les enseignants :

Un prof de FLE non natif parlant français avec un fort accent  / parlant français sans aucun accent 

Un prof francophone natif ne maitrisant la prononciation d’aucune langue étrangère / maitrisant parfaitement la prononciation d’une langue étrangère.

Si le regard porté sur les uns et les autres est probablement différent, il me semble qu’on peut discuter sur les capacités réelles de ces enseignants à entrainer à la prononciation. Mon point de vue serait plutôt de distinguer savoir et savoir faire. Un enseignant qui ne maitrise pas la prononciation de la langue qu’il enseigne ou d’une autre me semble tout à fait pouvoir enseigner la prononciation à condition qu’il soit allé assez loin dans l’analyse de sa situation (histoire, pratique…), qu’il s’assume comme exemple à ne pas suivre, et que de fait il se montre prêt à faire des efforts…

 

On a beaucoup cherché à expliquer pourquoi on n’y arrive pas, plus que comment on y arrive.

Chaque fois que j’ai posé la question à des personnes s’exprimant sans aucun accent dans leur(s) langue(s) étrangère(s), les éléments étaient les mêmes :

 

1. un enthousiasme esthétique, une rencontre amoureuse :

Michela, italienne : « Mon véritable apprentissage du français commença au lycée mais mon amour pour cette langue se manifesta bien avant vers l'âge de huit ans. A cette époque, ma mère écoutait des chansons de Charles Aznavour en version italienne. Bien que les textes fussent en italien, la mélodie ne trompait pas, elle était celle d'un pays qui parlait une langue douce et pleine de grâce. Un couple d'amis, à la même période, venait rendre visite à mes parents régulièrement. Je me souviens de la fascination qu'il exerçait sur moi quand l'un d'eux parlait dans sa langue maternelle. Je comprenais à peine quelques mots mais les sons de leurs voix étaient si agréables que je restais longtemps à les écouter. A quatorze ans, nourrissant une passion déclarée pour les langues, je choisis un lycée de langues étrangères. Le premier cours de français avait été une véritable surprise pour tout le monde : notre professeur, une italienne, maîtrisait phonétiquement cette langue à la perfection. J'étais ébahie et, bien sûr, n'eux qu'une envie : atteindre le même niveau. »

 

2. Un jeu narcissique – on met en jeu l’image de soi

Agron, albanais : « Quand je rentrais chez moi après mon cours de français, je descendais à la cave, parce que l’espace résonnait et je lisais ma leçon en français, juste pour le plaisir de m’entendre.»

 

Blake, anglo-américain: « J’ose à peine le dire, mais je me laisse des messages à moi-même sur mon téléphone portable, avec une autre identité. Je dis « Salut c’est Jean Baptiste, voilà je voulais savoir comment tu vas, etc » après j’écoute mon message : s’il ne me plaît pas je l’efface, mais s’il me plaît je le garde quelque jours».

 

Parler seul à haute voix.

 

3. Un entrainement intensif

Anne, française : « Quand mes amis félicitaient ma mère de mon incroyable absence d’accent dans mes deux langues étrangères, elle leur répondait que cela lui avait coûté beaucoup d’argent – les cours, les séjours, sans jamais parler des heures que j’ai passées, seule et aussi avec ma sœur, à m’entraîner. »

Olga, russe : « Oui, bien sûr on me félicite toujours pour ma prononciation et aujourd’hui j’en suis très fière, mais j’ai vraiment beaucoup travaillé, c’était très important pour notre professeur. On y a passé des heures et des heures… »

 

Audio 4

Akira Mizubayashi, auteur de Une langue venue d’ailleurs, Gallimard, janvier 2011.

Article dans Le Monde des livres du 7 janvier 2011

http://www.dailymotion.com/video/xhupl2_akira-mizubayashi-une-langue-venue-d-ailleurs_news#.UKdwH4Vp5gc

 

 

Audio 5

Amy Walker, actrice américaine de Seattle, notoriété sur Youtube : « 21 accents » (8 millions de visites) : où elle mélange accents régionaux, de l’espace anglophone (des Etats Unis, Canada, Royaume Uni, Australie, Nouvelle Zélande…) et étrangers, et 90 autres vidéos.

http://www.youtube.com/watch?v=3UgpfSp2t6k&feature=related

En particulier, dans « How to learn any accent », elle donne sa recette personnelle :

  1. 1.     « Vous devez être fascinés par la prononciation des gens, intéressés c’est bien, mais le mieux c’est d’être véritablement fascinés par leur façon de parler.
  2.  Faire attention, observer
  3. Analyser
  4. Pratiquer, répéter. »

Ensuite, choisir l’angle qui vous fascine le plus pour répéter ce que vous remarquez le mieux. Et adoptez-le !

a. Consonnes et Voyelles ; b. Mélodie + mimiques ; c. Rythme et accent (style, fluide, haché) , d. Grammaire et Lexique (en cas de LE ou de variantes : vacation / hollyday…) ; e. The Vibe : la prononciation = la personne -> « Consider your source »

 

 

 

 

Exemple d’activité de classe (p. 87 de Enseigner la prononciation du français : questions et outils, Hachette, 2007)

 

Objectif : Entraîner / libérer dans le jeu la capacité d’imitation caricaturale.

Support : Une phrase d’une longueur moyenne, facile à mémoriser et dont l’intonation est facilement expressive (par exemple : Moi ? Toujours. Elle ? Parfois. Mais lui ? Jamais.). On peut néanmoins travailler suivant le même principe avec n’importe quelle phrase.

Mise en œuvre : Se pratique plus volontiers en cercle.

On demande à chacun de s’entraîner rapidement seul puis à deux, à dire cette phrase avec une autre voix très différente de sa vraie voix (une voix de canard, de sorcière, de géant, de mouche, d’enfant, de vieillard ou n’importe quelle autre voix, la seule caractéristique importante est qu’elle soit vraiment caricaturale et très différente de la voix naturelle).

Cette exigence répond à la plus grande facilité d’imiter des voix caricaturales que des voix « normales », mais aussi à la nécessaire acceptation de produire vocalement et dans le jeu quelque chose de très différent de ce que l’on pratique habituellement.

Une fois ce rapide entraînement fait, en commun, le premier étudiant produit la phrase avec sa voix différente. Le groupe manifeste s’il considère que la voix n’est pas suffisamment différente de la voix naturelle. Le premier étudiant doit être imité le plus fidèlement possible par un deuxième étudiant. Une fois l’imitation produite (et appréciée par le groupe), le deuxième donne à son tour son interprétation de la phrase avec sa voix différente, avant d’être imité par le troisième, etc…

On propose éventuellement un deuxième tour en imitant les voix naturelles.

Discuter des éléments d’une voix les plus faciles à imiter (l’intensité, la hauteur, le rythme – le niveau suprasegmental), qui comptent plus pour la ressemblance que la prononciation elle-même.

 

 

 

 

  1. 5.     Conclusion

 

En guise de conclusion, un exemple de guide d’entretien individuel (originellement en anglais), pour amener un apprenant anglo-américain à s’engager activement dans un entrainement phonétique.

 

 

ENTRETIEN PRÉLIMINAIRE / QUESTIONNAIRE

 

• Nous sommes là pour travailler la prononciation du français. Pour moi, l’entraînement à la prononciation, c’est comme un entraînement sportif. Tu es d’accord ? Peux tu me donner une autre comparaison et la justifier ?

• Toujours suivant la comparaison avec un entraînement sportif, penses-tu avoir un handicap ou une fragilité dont il faut parler avant de commencer ?

• Si on reprend la comparaison d’un entraînement (sportif), que faudrait-il faire pour progresser rapidement d’un niveau à un autre ? (conscience, motivation, obsession, régularité, vigilance, être actif… ou qualité des exercices, variété, intérêt…) Et pour la prononciation ? Dans quel état d’esprit faudrait-il être ?

• Te sens tu prêt à un tel entraînement ? Qu’est-ce qui risque d’être difficile pour toi ?

 

•Je pense que pour améliorer sa prononciation, il faut en avoir conscience. Comme avoir conscience de son corps pour le travailler en sport. Plus on a conscience de sa prononciation (au moins pendant l’entraînement, mais aussi en dehors), plus on l’améliore. Es tu d’accord ?

Es-tu attentif à ta prononciation : … jamais… parfois (quand ?)… souvent…. Toujours. Pourquoi ?

• Je pense que pour améliorer sa prononciation, il faut s’amuser avec la souplesse de sa voix, les possibilités. Cela améliore aussi la conscience de la voix. Es-tu d’accord ?

Aimes-tu chanter ? … t’amuser avec ta voix (imitations, bruits…) … lire à haute voix (un poème, un passage littéraire…)

• Les enfants semblent avoir une facilité naturelle à adopter une autre prononciation que les adultes n’ont pas. La recherche scientifique a montré que ce n’est pas pour des raisons « biologiques ». Il s’agit donc de différences dans le traitement de l’information ou de différences « psycho-sociologiques ». Qu’en penses-tu ?

Quelle est ta réaction face à quelqu’un qui parle ta LM sans accent – même si il y a des erreurs de grammaire, etc… ? Qu’est-ce que cela dit sur la personne ?

Quelle est ta réaction face à quelqu’un qui parle ta LM avec un énorme accent ? Qu’est-ce que cela dit sur la personne ?

• Avoir une prononciation médiocre ou même détestable (ce qui correspond toujours à une forme de rejet de la musique de la langue)… - cela apporte des avantages ? des inconvénients ? - est-ce un plaisir ? une souffrance ?

Je te laisse répondre aux mêmes questions à partir de la proposition inverse…
Avoir une bonne ou même une excellente prononciation (ce qui correspond toujours à une grande conscience de la prononciation)… - cela apporte des avantages ? des inconvénients ? - est-ce un plaisir ? une souffrance ?

• Evalue toi même ton niveau de français (1 le plus mauvais, 10 le meilleur)

En compréhension orale ? En compréhension écrite ?

En expression écrite ? En expression orale ?

En grammaire ? En vocabulaire ? En prononciation ?

 

• Nous avons là une conversation importante avant un entraînement à la prononciation, qu’en retiens-tu ? Cela est-il compatible avec ton état d’esprit ? Cela te donne-t-il des envies ? Es-tu excité par un challenge ? T’es tu déjà entraîné à la prononciation ? Crois-tu pouvoir être créatif dans ton entraînement (imaginer / tester des exercices, engageant le corps, la chanson, la voix, la caricature, l’imitation…) Penses-tu parvenir à t’entraîner dans le plaisir (en étant actif et non passif) ? Quelles limites vois-tu à ton entraînement ?

 

J’ai été très frappé par la déclaration d’un ex-étudiant anglo-américain, que je ne connaissais pas, qui disait littéralement dans un français parfait (je l’ai enregistré, je retranscris mot à mot) : « Je peux dire que de tous les cours, on oublie tout. De ce qu’on a appris en tant qu’étudiant, on a tout oublié. Par contre, le cours de phonétique, ça a été la chose la plus utile que j’ai faite, de toute ma vie ! ». Je n’ai pas eu la présence d’esprit de lui demander pourquoi (je le regrette encore…). Qu’en penses tu ?

Mon point de vue : en travaillant la voix, la parole, l’écoute, le contrôle de soi, l’ouverture à la différence, les marques de l’oral, la musique et le rythme de la langue, on fait une sorte de travail de développement personnel, sur une capacité, une performance, et non un savoir ni une compétence, et que ce développement est très durablement enrichissant d’un point de vue personnel. Qu’en penses tu ?

 

Peux-tu réfléchir à notre conversation pendant la semaine et noter tes réflexions, pour marquer le commencement de cet entraînement. Plus ta réflexion sera nourrie, plus tu feras la preuve de ton engagement dans cet entraînement. Es-tu d’accord ?

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