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Enseignement/Apprentissage de la Prononciation du Français
Enseignement/Apprentissage de la Prononciation du Français
5 août 2020

Archive : Petite Phonétique Comparée, de Passy

[Dans la catégorie Archives, je présente un ouvrage de ma bibliothèque et j'en donne de courts extraits.]

 

    

 

     Voici malheureusement un livre qui part en miettes... Il s'agit de l'édition de 1922 de la Petite Phonétique Comparée des Principales Langues Européennes, de Paul Passy, le co-fondateur de l'Alphabet Phonétique International. La première édition date de 1905. Et je découvre sur internet que Forgotten Books en propose une réédition depuis 2018 !

     J'ai déjà évoqué cet ouvrage dès la création de ce blog, en citant les Remarques préliminaires.

     J'ai aussi déjà évoqué Paul Passy et sa collaboration à l'International Phonetic Association.

     Rares sont les livres à ma connaissance traitant de phonétique comparée dans plusieurs langues. A part l'ouvrage de Passy, je pense au magistral Comparing the Phonetic Features of English, French, German and Spanish, de Pierre Delattre (1965), dont il me faudra parler dans un prochain post.

     Cet ouvrage de Passy, rédigé dans un style et une orthographe (*rhytme) parfois surprenants, est novateur sur de nombreux points, je n'en citerai que quelques uns.

• Il me semble déjà remarquable que la moitié du texte (une soixantaine de pages) soit consacrée aux aspects suprasegmentaux, appelés ici Divisions du langage (groupes de souffle / force / intensité, rythme, syllabes, durée, intonation).

• Il évoque déjà l'acuité des voyelles, notion reprise par Petar Guberina et toute l'Approche Verbo-Tonale (1950-1960).

229] La différence de timbre entre les voyelles tient à la position qu'on donne aux organes en les articulant. Chaque position fait de la bouche une caisse de résonnance particulière qui modifie d'une certaine façon la voix produite par le larynx, comme des tubes de forme différente modifient le son produit par une anche de cor.

Pour comparer entre elles les résonnances propres à chaque position des organes il est bon de chucher les voyelles correspondantes, parce qu'alors on a affaire qu'à ces résonnances elles-mêmes (les modifications de hauteur du chuche étant insignifiantes), tandis qu'en prononçant les voyelles à voix haute, on peut sans s'en douter, élever ou abaisser le ton de la voix. On s'aperçoit alors aisément que si on prononce la série des voyelles :

u - o - ɔ - ɑ - a - ɛ - e - i

le timbre devient de plus en plus aigu.

Apparemment musicien, il pose finement la question de la transcription de l'intonation avant même les appareils de mesure et les courbes intonatives :

INTONATION

158] Nous avons déjà vu que la parole contient un élément musical, la voix, dont la hauteur varie avec les circonstances. Quand on chante, la voix passe constamment d'une note à une autre, les notes étant choisies de manière à former un ensemble harmonieux.

159] Il en est à peu près de même dans la parole ordinaire. Il y a pourtant une différence fondamentale. Dans le chant, chaque syllabe se prononce sur une note donnée ; ou bien, si on passe d'une note à une autre, ça se fait presque toujours d'un bond, sans intermédiaire. Dans la parole, la voix ne s'arrête guèresur une note ; elle ne passe pas non plus directement d'une note à une autre ; elle glisse tout le long de l'échelle musicale, monte ou descend plus ou moins rapidement, mais toujours par degrés insensibles. En musqiue j'écris par exemple :

Mais pour représenter la parole, la notation :

ne serait encore que très approximative. Il en résulte que les intervalles paraissent moins grands qu'ils ne le sont réellement."

 

 

     Je choisis comme extrait une section consacrée dans les Divisions du Langage, aux Groupes d'intensité / Groupes de Force. Ce que Wioland appelle les mots phonétiques, ce que d'autres appellent les groupes rythmiques, demeurent souvent étrangement ignorés des enseignants, alors qu'ils structurent fondamentalement la parole et imposent des contraintes fortes puisqu'ils définissent les syllabes accentuées et les syllabes non-accentuées. Si la terminologie varie d'un auteur à l'autre, la question de l'identification des groupes structurant le flux de parole reste bien cruciale.

 

GROUPES D’INTENSITÉ

1° GROUPES DE FORCE

Force du souffle

 

60] Si nous examinons un groupe de souffle quelconque, nous reconnaissons bientôt que toutes les parties qui le composent ne frappent pas notre oreille avec la même intensité. En nous plaçant à une certaine distance d’une personne qui parle, nous saisissons bien certains sons, certains groupes, tandis que d’autres nous échappent. Si nous sommes plus près, nous entendons tout, mais nous sentons pourtant que tout n’a pas la même force.

 

61] Par exemple, je prononce la phrase :

L’animal qui s’enfuit en courant.

Les groupes de sons –mal, -fuit, -rant, s’entendent certainement plus distinctement que les autres. Ça tient à ce que, en les prononçant, je chasse l’air plus fortement des poumons : alors les sons produits sont plus forts.

Cette force relative est tout-à-fait indépendante de la force d’ensemble avec laquelle on parle. La phrase citée, l’animal qui s’enfuit en courant, peut êtrecriée à pleins poumons ou murmurée à voix basse ; mais à moins d’intentions spéciales, on prononce toujours les syllabes –mal, -fuit, -rant, plus fort que les autres. C’est l’effet de la force relative du souffle. Quelle que soit leur force absolue, les syllabes –mal, -fuit, -rant, doivent être considérées comme relativement fortes, les autres comme relativement faibles, ou moyennes.

 

62] Analyser et représenter tous les degrés de force serait un travail gigantesque. La force relative est en partie déterminée par un principe rythmique. Les syllabes fortes et faibles alternent d’une manière assez régulière. Si dans un groupe de trois syllabes, la troisième est forte, nous pouvons être à peu près sûrs que la première est plus forte que la deuxième, à moins qu’il n’y ait quelques raison particulière d’appuyer sur la deuxième ; c’est ce qui a lieu dans les groupes animal, voulez-vous, tu comprends, Constantinople, Nabucodonosor. Ça nous dispense de représenter les degrés intermédiaires, dont la force relative découle le plus souvent de leur position même. […]

 

63] Or, l’oreille et l’esprit ont une tendance naturelle à grouper les parties moins fortes autour des parties plus fortes ; Quoique dans la phrase, l’animal qui s’enfuit en courant., il n’y ait aucune interruption, nous l’entendons volontiers comme si elle était divisée en trois parties.

L’animal     qui s’enfuit     en courant.

Ceci nous conduit à une deuxième division phonétique du langage ; nous pouvons diviser le groupe de souffle en groupes de force. Un groupe de force est l’ensemble des sons qui se groupent autour d’une syllabe relativement forte.

 

64] En général, un groupe de force se compose de deux ou trois mots étroitement liés par le sens, et dont l’un est plus important que les autres.

La division phonétique en groupes de force correspond donc à la division logique en mots, en ce sens que si plusieurs mots sont constamment réunis en un seul groupe, un seul mot n’est presque jamais réparti sur deux groupes. Dans un parler très lent, chaque groupe de force peut devenir un groupe de souffle. Quand un mot est isolé, il forme à lui seul un groupe de force et un groupe de souffle.

 

65] Dans une écriture rigoureusement phonétique, on écrit en un seul mot tout ce qui forme un groupe de force, ainsi

lanimal kisɑ̃fɥi ɑ̃kuʁɑ̃

et on marque les limites des groupes de souffle par un nombre de virgules proportionné à la durée de l’arrêt. Mais dans la plupart des textes phonétiques consacrés à l’enseignement, des raisons pratiques font conserver tels quels la division des mots et la ponctuation courante.

 

Accents de force

 

66] Quant à la force relative des diverses parties d’un groupe, il est facile de distinguer des syllabes fortes, moyennes et faibles. La syllabe forte est la plus importante, c’est autour d’elle que se groupent les moyennes et les faibles, généralement en suivant le principe rythmique énoncé au §62.

On dit souvent que la syllabe forte est accentuée ou porte l’accent de force ; que les autres sont les syllabes inaccentuées ou atones.

 

67] Dans l’écriture, on marque les syllabes fortes en les faisant précéder du signe (ˈ) ; au besoin les syllabes faibles sont précédées du signe (-), et les moyennes du signe (ˌ) ; mais les deux dernières peuvent ordinairement se sous-entendre. Une syllabe très forte se marque par (ˈˈ)

La phrase citée plus haut s’écrit donc :

ˌla-niˈmal ˌki-sɑ̃ˈfɥi ˌɑ̃-kuˈʁɑ̃

ou plus simplement et en conservant la division des mots :

l aniˈmal ki s ɑ̃ˈfɥi ɑ̃ kuˈʁɑ̃

 

 

Accent normal

[…]

70] En Français, l’accent normal n’est pas très marqué ; il n’y a pas entre ls syllabes fortes et les faibles l’opposition qu’on remarque par exemple en Allemand. Aussi, le premier soin d’un étranger qui étudie le Français, doit-il être de prononcer toutes parties de la phrase, avec une certaine égalité, sans « avaler » les syllabes faibles, sans donner aux fortes un relief exagéré.

71] Cependant, il y a une différence en Français aussi. Dans chaque groupe de force, c’est la dernière syllabe qui se prononce un peu plus fort que les autres, à moins qu’elle ne contienne la voyelle ə, alors c’est la syllabe précédente qui est forte. (Il va sans dire qu’il s’agit des syllabes prononcées ; le reste ne compte pas en phonétique).

Comme en Français, quand plusieurs mots sont très étroitement unis par le sens (et par conséquent forment un groupe de force), c’est le dernier qui est d’ordinaire le plus important, ce que nous venons de dire peut encore s’exprimer ainsi : dans une phrase prononcée normalement, la dernière syllabe de tous les mots importants est accentuée.

[…]

Les enfants qui commencent à parler réduisent souvent un mot à sa dernière syllabe plus ou moins altérée.

 

72] Dans d’autres langues, l’accentuation est basée sur des principes très différents. En Espagnol, en Italien, en Portugais, l’accent, qui est d’ailleurs plus marqué qu’en Français, peut porter sur la dernière syllabe des groupes comme en Français ; mais il peut aussi porter sur une des deux syllabes précédentes. Ainsi on a :

en Italien : virˈtù (vertu), aˈmore (amour), aˈmabile (aimable), prenˈdevano (ils prenaient) ;

en Espagnol : aˈmor (amour), aˈmigo (ami), ˈarboles (arbre)

en Portugais : aˈmor (amour), aˈmigo (ami), leˈgitimo (légitime).

Le même genre d’accentuation se retrouve dans les autres langues romanes, et même dans les patois de la France du Midi ; ainsi en Béarnais :

beˈtɛt (veau) ; ˈɔmi (homme) ; ˈkrabo (chèvre), etc.

73] Il est intéressant de constater, que sauf de rares exceptions, c’est toujours la syllabe correspondante qui est accentuée dans les langues romanes : Fr. aˈmour, It. aˈmore, Esp. aˈmor, Béarnais aˈmu ; - Fr. aˈmi, It. aˈmico, Esp. aˈmigo, Béarnais aˈmik ; - Fr. ˈpauvre, It. ˈpovero, Esp. ˈpobre, Béarnais ˈpraube.

Dans tous ces mots, c’est l’accent latin des mots amorem, amicum, pauperem qui a été conservé ; seulement en Français, les syllabes qui suivaient l’accent ont disparu ; dans les autres langues romanes, elles ont été conservées en tout ou en partie.

 

 

 

 

 

Voici la Table des matières (cliquez sur la photo pour l'agrandir) :

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