Nous l’avons déjà maintes fois rappelé ici, le français enchaîne les mots à l’intérieur des groupes rythmiques, sans considération des limites physiques des mots écrits. À l’intérieur d’un groupe rythmique en français, « toutestattaché » [tu-tɛ-ta-ta-ʃe]. C’est pour cela que les enfants français, qui commencent à écrire, produisent : « sava » et « jetèm » car à l’oral, la frontière entre les mots d’un groupe rythmique n’est pas marquée. Cela donne une impression unie, liée, souvent décrite comme agréable par les oreilles non-natives. Ce ne sont pas les mots que l’on entend, mais des paquets de mots prononcés ensemble : les groupes rythmiques.
Les voyelles juxtaposées dans un groupe rythmique s’enchaînent : c’est ce qu’on appelle l’enchaînement vocalique. Ex : Tu as été à Tahiti ? [ty-a-e-te-a-ta-i-ti] et non pas *[ty#a#e-te#a-ta#i-ti].
Les consonnes prononcées en finale de mots forment syllabe avec la voyelle qui suit - si le mot suivant commence par une voyelle : c’est ce qu’on appelle l’enchaînement consonantique. Ex : Avec lui ou avec-elle ? [a-vɛk-lɥi /u-a-vɛ-kɛl] et non pas *[a-vɛk # ɛl] Une minute ou une-heure ? [yn-mi-nyt / u-y-nœR] et non pas *[yn # œR].
Enfin, des consonnes finales muettes dans le mot isolé sont prononcées en formant syllabe si le mot suivant commence par une voyelle : c’est la liaison. Ex : Un p(e)tit copain, un p(e)tit Tami. [ɛ̃-pti-kO-pɛ̃ / ɛ̃-pti-ta-mi] Un professeur, un Nétudiant [ɛ̃-pRO-fE-sœR / ɛ̃-ne-ty-djɑ̃].
Enchaînements et liaisons sont réalisées À L’INTÉRIEUR DU GROUPE RYTHMIQUE. Voilà encore une preuve de l’importance fondamentale de cette notion en français, pourtant si souvent négligée. Le groupe rythmique est défini par sa syllabe accentuée, dernière syllabe du groupe.
Pourtant, dès 1914, Maurice GRAMMONT écrit dans La prononciation française, Delagrave, (p.129) :
« La difficulté est de savoir dans quels cas il faut lier et dans quels cas on doit s’en abstenir. La règle générale est fort simple : on lie à l’intérieur d’un élément rythmique, on ne lie pas d’un élément rythmique au suivant. Autrement dit : on lie d’une syllabe inaccentuée sur la suivante, on ne lie pas la syllabe accentuée. »
Tout dépend donc du découpage en groupes rythmiques.
On le sait, plus les conditions de communication sont difficiles, plus on a intérêt à produire des groupes rythmiques courts, afin d’assurer la meilleure compréhension possible de son message. On peut dire : « Le bureau est ouvert de 14h à 16h30 », en un seul grand groupe rythmique (c’est la façon dont le dirait quelqu’un n’accordant aucune importance à la transmission du contenu, en délivrant l’information de manière quasi automatique). On peut aussi découper ce message en éléments minimaux afin d’assurer au maximum sa compréhension : « Le bureau / est ouvert / de 14h/ à 16h30 ».
Ce découpage en éléments minimaux correspond à un découpage grammatical (on parle de découpage syntaxico-prosodique) : groupe nominal, groupe verbal, groupe prépositionnel… C’est à l’intérieur de chacun de ces groupes qu’apparaissent les liaisons. C’est cette règle simple qu’il faut comprendre et appliquer. Il n’est pas possible de mémoriser les règles détaillées (voir ci-dessous) pour les mettre en œuvre. Par contre,/ on peut comprendre / qu’il faut tout Tattacher/ à l’intérieur / d’un groupe rythmique / et prendre l’habitude / de pratiquer / l’enchaînement / et la liaison /dans tous les groupes rythmiques,/ même minimaux.// Par exemple, en présentant TOUJOURS les lexèmes avec des déterminants (masculin ou féminin au singulier – un/son/mon Nami, une-amie, et pluriel – des Zamis) et non isolés « ami, amie ».
Vous voulez déjà des exercices? En voici ici
Vous l’aurez compris : il ne me semble pas du tout bénéfique de transmettre d'emblée "les règles" aux apprenants (il y a de quoi se décourager avant même de commencer...) Peut-être aux niveaux avancés aptes à aborder sans s'effrayer une synthèse du fonctionnement détaillé de la liaison en français… Il me semble bien plus intéressant de faire observer les enchaînements et les liaisons à partir de corpus segmentés en groupes rythmiques minimaux, d'établir des hypothèses, des règles intermédiaires... L'enseignant doit par contre parfaitement maîtriser l'enchaînement et la liaison afin de confirmer ou d'infirmer les hypothèses faites par les apprenants...
Voici donc les « règles », à l'usage des enseignants. La liaison est réalisée :
À l’intérieur du groupe nominal
- après le déterminant : + substantif (lesZenfants, desZamis), + adjectif (lesZanciens modèles), + pronoms (lesZuns, lesZautres) ;
- après l’adjectif : + substantif (le dernierRétage, un grosZeffort, aucunNintérêt)
(La liaison après un substantif pluriel est facultative : lesZétudiantsZaméricains).
(La liaison après un substantif singulier est interdite : unNétudiant#américain);
À l’intérieur du groupe verbal
- après le pronom personnel : + verbe (vousZavez, ilsZarrivent), + en/y + verbe (onNy va, nousZen venons)
- après le verbe : + pronom (que veutTil ? allonsZy !), + pronom personnel + en/y (allez vousZen !)
(La liaison après les verbes est facultative, car deux découpages sont alors possibles : il est(T)ici, ils sont(T)arrivés, je vais(Z)essayer, vousZêtes(Z)invité)
À l’intérieur d’autres groupes
- après un adverbe ou une préposition d’une seule syllabe : plusZaimable, enNhiver, trèsZamoureux, toutTentier, chezZelle, quandTil vient…)
La liaison est interdite : entre deux groupes rythmiques (Les amis#arrivent à midi), avant et après ET et OU ( du pain#et#un verre d’eau), après les mots interrogatifs (combien#as-tu ? quand#arrive-t-il ?), après les pronoms sujets dans une interrogative par inversion (SontTils#arrivés ?), après les noms propres (Julien#a téléphoné), et après un « h aspiré » (voir plus bas).
L’usage de la liaison est aussi un marqueur de prestige : plus le registre est formel, plus on trouve de liaisons. Plus le registre est formel, plus les groupes rythmiques sont longs et donc permettent plus de liaisons. (Voir le cas particulier de la liaison sans enchaînement).
Expressions figées avec liaison : accentTaigu, avant-Thier, commentTallez-vous ?, de hautTen bas, de mieuxZen mieux, de moinsZen moins, de plusZen plus, de tempsZà autre, de tempsZen temps, du potTau feu, les ChampsZElysées, les EtatsZUnis, motTà mot, nuitTet jour , petitTà petit, sousZentendu, tantTet plus, toutTà coup, toutTà fait, toutTà l’heure, toutTau moins, toutTau plus, un sousZofficier, vis-Zà-vis, …
Expressions figées sans liaison : nez#-à-nez, mort#ou vif,…
Graphie : sur les cinq consonnes de liaison ([z, t, n, R, p]), seules les deux les plus fréquentes présentent plus d’une graphie. Données et exemples tirés de WIOLAND, 1991 :
[z] (49%) (s) les EtatS-Unis, (x) Un fauX ami (z) AlleZ-y !
[t] (28,2%) (t) TouT éveillé, (d)Un granD espoir.
[n] (22,5%) (n) EN attendant.
[R] (0,25%) (r) Un premieR emploi.
[p] (0,05%) (p) TroP ému.
Le "h aspiré": ce terme décrit le graphème lorsqu’il marque l’impossibilité à l’oral de lier la consonne précédente à la voyelle suivante avec une consonne de liaison ou un enchaînement consonantique. Il interdit dans ce cas l’élision et produit un enchaînement vocalique.
Il n’existe malheureusement pas de règle permettant de distinguer les mots ne présentant pas de « h aspiré » (les heures, les hommes, un hôtel) et les mots présentant un « h aspiré » (les#Halles, un#héros).
Quand ces mots apparaissent en classe, il est important de les traiter immédiatement à l'oral dans des énoncés, en faisant varier le contexte, pour donner à entendre et faire pratiquer afin de les mémoriser.
Le Bon Usage de Grévisse liste 135 mots, comme les principaux commençant par « h aspiré ». Voici ceux qui nous semblent les plus courants (en gras les indispensables) :
un H, une #hache, une #haie, quelle #haine !, elle va les #haïr, dans un #hall, les #Halles, une #halte, un #hamac, un #hameau, un #hamster, une #hanche, un #handicap, les #handicapé(e)s : [souvent lié], un #hangar, ils #hantent (hanter), ils #happent (happer), un #happy end, c’est #harassant, tu es #hardi !, un #harem, un #hareng, quelle#hargne !, un #haricot, les# haricots : [souvent lié], une #harpe, les #hasards de la vie, en #hâte, en #haut (≠ enNeau), un #havre de paix, les #héros (≠ les zéros), les #hêtres du jardin (≠ lesZêtres), de petits #heurts, un #hibou, c’est #hideux, un #hippie, ils #hissent (hisser), un #hobby, les #hockeyeurs, en #Hollande, des #homards, en #Hongrie, quelle#honte !, un #hoquet, les #hors-la-loi, une #housse, un #houx, les #hublots, ils #huent (huer), Ils #hurlent (hurler) : [parfois lié], un # hurlement, une #hutte.
Bonus
Auguste Pataquès, par Hervé LeTellier (Des Papous dans la tête, 01/11/2015)
Auguste Pataquès